Le regard perdu sur l’étendu sableuse et ses chaussures qui contrastait avec la pureté de l’endroit, Khasan s’échappa une fois encore dans les méandres de son cerveau embrumé. Ses pensées se bousculaient tellement qu’il avait l’impression de ne plus être capable de raisonner. D’ailleurs, peut-être qu’en fait, c’était le cas. Peut-être qu’il était vide au fond. En tout cas, il se sentait vide. Mais se trouver vide signifiait qu’on réfléchissait à la question...
Une main posée sur son épaule le tira de ses raisonnements étranges et dénués d’intérêt. Le tchétchène eut un sursaut et, sans vraiment entendre les mots qui jaillissaient de la bouche pulpeuse de son interlocutrice, il se dégagea de cette étreinte. Tout ça était trop curieux, trop nouveau pour lui. Il aimait sa routine ; aimait que personne ne lui parle, ne le regarde, ne le touche. Il connaissait. Mais Lily le surprenait toujours, que ce soit par ses réactions, ses paroles ou ses gestes. Khasan détestait ça. Elle était trop changeante et elle le faisait changer. Il le sentait. C’était comme un interrupteur sur lequel quelqu’un venait appuyer. Quelqu’un qui habitait son corps. Comme un petit bonhomme qui se déplaçait… ça lui rappelait les ordinateurs. Le trentenaire s’amusait souvent à imaginer que des tous petits messieurs s’amusaient à courir partout pour distribuer les informations où il le fallait et quand il le fallait. Parfois ils se trompaient de chemin ou n’allaient pas assez vite. C’était drôle de les imaginer. Mais les imaginer à l’intérieur de lui n’avait rien de drôle ; il se sentait manipulé, utilisé ; il se sentait objet.
Khasan secoua sa tête comme pour chasser ces idées de son esprit, au moment où une autre présence se faisait sentir dans son dos. Axel entra alors dans son champ de vision et le nœud qui lui enserrait l’estomac ne fit que se resserrer encore, lui donnant la nausée. Ils étaient deux maintenant. Et lui il était tout seul.
Pourquoi Peter ne se manifestait-il pas ? Où était-il ? Quand reviendrait-il ?
Il fallait qu’il rentre. Mais pas avant d’avoir tenu sa promesse de montrer le document à Lily. Et puis d’un côté, ça lui plaisait bien d’avoir quelque chose à montrer à quelqu’un. Il se sentait un peu comme un enfant qui a promis à sa maman de lui montrer le dessin qu’il a fait chez sa nourrice… sauf qu’il n’avait jamais montré de dessin à sa mère, n’avait jamais eu de nourrice, et ignorait ce qu’on pouvait ressentir dans ces cas là, n’empêche qu’il se sentait comme ça. Impatient, fébrile. Tellement que la tête lui tournait…
Non, ce n’était pas sa tête, c’était tout le reste.
Axel parlait, le regardait droit dans les yeux, mais Khasan ne le voyait pas vraiment, pas dans son intégralité en tous les cas. Son regard émeraude était concentré sur ses lèvres qui s’agitait et ne faisaient qu’émettre une sorte de bourdonnement désagréable qui lui chauffait les oreilles désagréablement. Elles étaient brûlantes. Et tout tournait. Un frisson parcouru le corps du trentenaire qui fronça les sourcils, intrigué par tout ce qui l’entourait et par l’étrange présence d’un Axel bourdonnant. Lily n’existait plus. Elle avait disparu de son champ de vision et n’appartenait plus à son monde. Il n’y avait que le grand blond qui parlait sans parler et le fixait. Cette bouche qui s’ouvrait et se refermaient dans des bruits étranges et distordant. Comme un film passé au ralenti.
Lentement, Khasan ouvrit la bouche pour signifier à son interlocuteur qu’il avait un souci de prononciation. Du moins était-ce son intention. Mais il ne fut jamais certain d’avoir réellement prononcés les mots que son esprit avait formulés.
« T’as… la tête qui parle… »
Lily reparut soudain dans son champ de vision. Fugacement. Elle revint dans son univers comme le jouet revient dans celui de l’enfant qui l’a jeté à terre et que sa mère vient de ramasser. Elle existait à nouveau. Mais lui non. Du moins fusse la dernière idée qui le traversa avant qu’il ne s’effondre sur l’étendu sableuse qu’il avait précédemment observée. Ses jambes venaient de se dérober sous lui subitement, le faisant tomber sur les fesses, assit, une expression hébétée peinte sur son visage blafard. A demi-conscient seulement, il resta immobile, sa tête dodelinant sur ses épaules voûtées.
Cette fois c’était certain, il n’était plus qu’une coquille vide.